Alors
aujourd'hui attention, je marche sur des bœufs. Parce que, comme une
majorité silencieuse de travailleurs urbains, d'artisans et citoyens
en détresse sociale, j'ai été irrité par cette énième
jacquerie, ce défilé de tracteurs agressifs, flippants même et
pollueurs.
Cela
m'ennuie de voir dériver cette campagne que j'aime tant. Celle de
mon enfance. Ses odeurs de foin fraîchement coupé, ses rumeurs de
blés mûrs murmurant au vent sec d'un début d'été, ses
meuglements vespéraux quand le troupeau se rassemble autour du
point d'eau...
Lorsque
j'arpentais à pied, à vélo -mais hélas jamais à cheval- mes
chers coteaux tarnais, je ressentais tout ça intensément, je me
sentais profondément, viscéralement paysan. Et le suis resté.
Je
les admire et les envie ceux qui se lèvent tôt pour traire leurs
vaches, extraire leurs veaux et travailler dur pour le plaisir, comme on
milite, comme on défend une cause, une qualité de vie. Une vie tout
court. Ils n'ont jamais gagné des fortunes mes paysans à moi. Mais
ils n'ont jamais bloqué autre chose qu'une petite route sinueuse en
remontant au pas, leur remorque débordant -ou pas- de leurs
récoltes. Les miens ont même inventé l'expression « être
sur la paille ».
Bien
avant mes chères aubracs, les vaches je les connaissais toutes, les
belles normandes laitières, les limousines et les blondes
d'aquitaine. Maman en ramenait d'ailleurs quelques belles tranches à
la maison, car évidemment le boucher n'allait pas se servir en
Allemagne... C'était divin, car c'est toujours mieux de manger ce
qu'on aime, surtout si c'est votre jolie voisine !
Alors
certes, il y a mes paysans à moi, béret noir qu'ils n'enlèvent que
pour se coucher et se curent les dents avec l'opinel à tout faire.
Et puis il y a les agriculteurs. Les éleveurs. Ceux qui passent plus
de temps au bureau avec la calculette et en réunion syndicale que
dans l'étable. Ceux qui comptent leurs têtes de bétail par
centaines. Ceux qui roulent en gros matos Ford, Class ou Deutz (et
qui là, oublient de consommer français !). Ceux qui génèrent
des sommes indécentes dans l'agroalimentaire en important à tour de
bras...
Ce
monde agricole, qui depuis les années soixante nous casse les
oreilles avec l'Europe, la PAC et se gave de subventions pour tout et
n'importe quoi. Il fait chaud, on indemnise. Il pleut, on indemnise.
Il grêle, on indemnise. Il fait froid, on indemnise. Demandez donc à
l'ouvrier de Moselle, à l'artisan des Alpes, au restaurateur de
Toulon... si on le rembourse quand la météo et les affaires ne sont
pas bonnes ? Demandez aux chômeurs de partout...
Ce
monde agricole, nullement révolutionnaire mais totalement factieux,
qui prétend diriger le pays en éventrant des camions frigorifiques
et en brûlant des pneus (excellent pour l'environnement qu'ils sont censés défendre). Ce monde agricole consanguin qui prolifère dans
ce nord-ouest et dont il faudrait couper le nez de la Normandie à la
Vendée, avec ses cochons et ses bonnets rouges, pour le séparer du
pays comme une vulgaire Corse. Et encore, on constate combien il est
difficile de se débarrasser de la Corse ! Laquelle s'apprête à
exiger des indemnités folles, pour ses oliviers malades et dont elle
déclarera le triple de ce qu'elle possède. Ce monde agricole qui
croit que tout lui est dû sous prétexte qu'il est bien du pays et
critique sans cesse les fonctionnaires alors qu'il en a de plus en
plus la mentalité. Ce monde agricole qui incarne plus que jamais un
poujadisme détestable, une lutte sectaire, égoïste et cupide.
Droitière. Ce monde agricole qui se prend pour un autre et convoque
un ministre comme un vulgaire larbin et menace d'asphyxier le pays.
Ah
ben merde alors ! A quoi ça sert d'avoir choisi une armoire à
glace, un déménageur, une deuxième-ligne, un vrai paysan en somme,
à la tête du ministère de l'agriculture, si c'est pour se rendre à
la première injonction en baissant la crinière comme un vieux lion
édenté de cirque.
Moi,
si j'avais eu la carrure de Le Foll, en guise de négociation, je te
leur aurais tiré deux torgnoles aux types de la FNSEA, à commencer
par leur boss, le richissime, celui qui s'engraisse sur le dos de ses
camarades syndiqués. Et puis tous les autres pseudo-syndicalistes,
les roquets de la Manche et du Calvados.
C'est
qu'il nous emmerde à se tromper sans cesse de cible. Je suis
d'accord, y en a des tonnes de lisier à déverser ! Mais je
vais vous dire où. Devant le Kremlin où le dictateur Poutine affame
son peuple en bloquant les importations d'entrecôtes pour cause de
boycott. A la Bundestag qui nous expédie, à jet continu, leur merde
de volkswagen, d'audi et leurs carcasses de grosses laitières
fabriquées et élevées par une main d’œuvre de misère. Dans les
couloirs des rédactions des magazines féministes qui imposent à
leurs lectrices depuis des années, l'idée que bouffer de la viande
c'est mauvais pour tout et la culotte de cheval ! Alors certes
ceux qui cultivent la salade et font pousser des graines se frottent
les paluches, mais ils ont qu'à s'entendre avec les éleveurs pour
partager le pécule ainsi généré par ces toubibs et diététiciens
illuminés à la « mords-moi le bœuf ».
De
toute façon le problème de l'agriculture en France c'est qu'elle
attend tout des autres. Alors que la solution est dans sa poche. Il
lui suffit de mutualiser ses revenus. Si les géants de
l'agro-alimentaire, les céréaliers, les gros producteurs étaient
solidaires des petits, si chacun reversait une partie de ses énormes
profits dans un pot commun, on n'entendrait plus les agriculteurs se
plaindre qu'ils crèvent de faim. Si vous voulez, celui qui gagne
énormément dans la Beauce, aiderait celui qui peine terriblement
dans la Creuse !!! Chacun aurait son salaire minimum. Et
des millions de gens vivent en France avec le SMIC. Dans le monde, ce
sont des milliards de personnes qui se contenteraient ne serait-ce
que de la moitié, d'un bon steak tous les mois et de vivre à la
campagne.
Pourtant
ces milliards-là, ne convoquent pas les ministres et ne manifestent
pas les fourches à la main. Heureusement ! Car, à la FNSEA,
ils pourraient se faire du souci. Pour de bon...
Jaco
Awa,
c'est toi ?
Nous
assistions - mazette ! - à un dîner-jazz, rue de Charonne,
avec le trio d'un dénommé Ben Toury. Un fou furieux qui joue du
piano à l'envers et avale plusieurs kilomètres d'harmonica dans la
soirée. Je préfère quand même le soft-jazz façon New-Orléans et
les longs gémissements d'un saxo ou les cordes virtuoses d'un
Django, mais c'était quand même consistant.
Ce
qui me mit en arrêt, ce n'est pas le gentil minois du jeune Toury
-contrairement à la Marie-, c'est sur Awa que mon regard s'est figé.
Comme dans un rêve -et parfois un cauchemar les vendredis soirs de
mai par exemple- j'ai revu notre belle sénégalaise, ses petites
fossettes rieuses et cette ondulation de classe.
Elle
était là, tout près de nous, émouvante de ressemblance et de
souvenirs. Alors je n'ai pu résister. Je me suis levé, l'ai abordée
quitte à me faire écharper par un de ses condisciples sur les
dents. Je lui ai demandé si elle ne s'appelait pas Diop ou Fall.
Elle m'a dit non. Mais elle se prénommait bien Awa et venait aussi
de Dakar...
Encore
une sorte de miracle que Count Basie ou Dizzy Gillespie auraient pu
mettre en mélodie langoureuse...
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