Quand
l'audience n'est plus dopée
Il
faut bien que de temps à autres le PAF se prenne une bonne baffe. Un
bourre-pif. C'est évidemment avec un réel plaisir que j'ai appris
l'arrêt quasi immédiat de Toque-Chef, ou de Master-Chef ou de
Big-Chef ou Derechef. Enfin c'est sur TF1 et si ça peut faire
pareil avec M6, ce ne sera que mieux. Qu'on leur claque le beignet
une bonne fois pour toutes. Et une mauvaise foi aussi...
Voici
des années, j'ai l'impression qu'il s'agit de siècles, que la télé
du peuple, la télé jetable, la télé poubelle, tire sur la
ficelle de l'andouillette pour tenter de se les faire en or. D'autant
qu'il n'y a guère plus facile que la ménagère -de plus ou moins
cinquante ans- pour gober toutes ces recettes sophistiquées, ces
artifices culinaires qui leur donnent l'impression, demain, de
pouvoir réaliser des plats de folie, alors qu'elles continueront en
réalité à ne pas savoir faire cuire correctement de simples pâtes
au beurre.
Il
faut dire que la simplicité, les choses authentiques venant du cœur,
sortant de la terre, ce n'est pas ce qui fait vendre, ni capte
l'attention de millions de gogos. Sauf que celles-là, à force de
jeter leur terrine de lapereau aux jeunes pousses de cardes à la
gelée de romarin et espuma de petits pignons grillés ,
finissent par se lasser des œillades de Lignac, des saillies viriles
d'Echtebeste ou du faux naturel de Candeborde... C'est que le
lapereau ça pèse dans le budget de la mégère. Surtout pour finir
à la poubelle !
En
réalité, que vous ayez fait dix ans d'école hôtelière ou que
vous ayez passé l'éternité à dévorer des yeux des étoilés
faire leur numéro à la téloche, si vous êtes une buse derrière
le fourneau, vous le resterez. C'est pas la peine de vous lever
bonne-heure pour acheter un dos de bar à la criée de Boulogne, ou
cent grammes de truffes au marché de Sarlat, si vous regardez ces
télés avariées, votre sauce va immanquablement tourner.
On
m'a dit que pour remplacer Machin Chef, TF1 a rediffusé une série,
la quatrième de la semaine : cela a doublé l'audience et
permis de vendre à audi -la voiture qui mérite bien ses « 0000 »-
un max de spots publicitaires. Car la ménagère est revenue en
courant. C'est qu'un acteur de nanar américain c'est plus
frissonnant que l'autre tête de nœud qui fait le mariole dans sa
veste blanche et son col tricolore.
Tous
les mois ou presque je viens ici pousser mon coup de gueule contre
cette télé dégradante qui mange le peu de cerveau encore intact et
nous prépare quelques belles générations de moutons -et encore,
les moutons vont finir par m'intenter un procès en diffamation! -
Parfois, il nous arrive quelques belles choses sur Arte et la Cinq
(c'est pour ça qu'elles franchissent rarement la barre du million,
mais heureusement ce n'est pas l'objectif assigné). Mais également
sur France 3. Je ne parle pas de Pernoud qu'il serait temps de jeter
à l'eau -avec deux glaçons- ni de quelques horreurs sur lesquelles
j'éviterai de m'attarder afin de ne pas faire de peine à mes braves
parents.
Lundi
dernier, en parlant de brave, c'était Poulidor. En pleine actualité. Non que « Poupou »
ait décidé de remonter sur sa bicyclette. Encore que pour
satisfaire ses fans, il en serait bien capable. Mais pas de gagner le
Tour. Il y a quarante ans (je veux pas vous affoler mais cela fait
bien quarante ans qu'il a cessé de nous épater) il arrivait à
Paris avec une poignée de secondes, au pire deux minutes de retard
sur des types déjà chargés comme des bourriques. Mais aujourd'hui,
derrière les Froome, Pinault, Contador et consorts, c'est le
surlendemain qu'il entrerait sur les Champs-Elysées, depuis
longtemps rendus à la circulation publique. C'est vous dire si ce
serait dangereux pour lui de courir encore de nos jours !
J'aimais
Poupou parce que je me sentais proche de lui. C'était un paysan de
la Creuse. C'est dire s'il avait une propension à s'enfoncer !
Il rasait les murs de crainte qu'on l'étreigne et le congratule. Il
pédalait parce que ça lui plaisait. Il aimait souffrir sur un vélo
-nul n'est parfait- et le soir il ne la ramenait pas dans le "20
heures". Il reste un symbole, largement battu en brèche certes, mais
encore présent. La démonstration que l'on peut ne pas être prêt à
tout pour gagner ; que l'on peut rester intègre, probe,
propre ; que l'on peut arriver second, ne jamais porter le
maillot jaune dans un sport où c'est le seul objet et rester le
plus populaire... Dans le sens noble, mais galvaudé, voire disparu,
du terme qu'il faut remplacer par populiste ou populeux.
Désormais,
quel que soit son domaine, on vous fait d'un sportif fatalement dopé,
un héros antique et on cultive le chauvinisme franco-français
à longueur d'antenne. On vous plante une potiche en talons aiguilles
sur la boue d'un terrain de rugby, sous prétexte que les ménagères
-tiens ! encore elles- fantasment plus sur les culs sur-hormonés
d'une mêlée que sur les coiffures qui servent de tête aux
footeux...
J'enrage
lorsque je me souviens des récits que me faisait un ancien collègue
féru de vélo. Jacques Anquetil, Raphaël Géminiani et Lucien Aimar
se bidonnaient toujours, plusieurs décennies plus tard, des coups
tordus qu'ils avaient naguère échafaudé pour empêcher notre cher
Raymond de gagner son tour de France. Au lieu d'aider à la
consécration d'un sportif exemplaire dans tous les sens du terme,
ils le moquèrent, l'humilièrent. Sans jamais le détruire, parce
que sans maillot jaune, sans victoire et finalement sans trop de
pognon, on vit beaucoup mieux que sans honneur, ni conscience.
Lundi
soir, sur la « trois », Poulidor a fait à peine plus
d'un million de téléspectateurs. Sans dopage, difficile de
franchir les sommets de l'audience en tête.
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