dimanche 22 novembre 2015

Chronique d'humeur du 23 novembre 2015



              Edition spéciale…                   


Cette semaine j’ai pu faire ce que je voulais. Y compris manger de la viande sans que l’on vienne m’annoncer que j’allais mourir. Je suis même parti au travail sans mettre ma ceinture (de sécurité). Pas un donneur de leçon sur les ondes, pas un flic pour me piquer trois points. Cet état d’urgence, là, pour les libertés individuelles, ça part plutôt sur de bonnes bases. Côté foot aussi, ça été tranquille. Les Anglais nous ont filé une raclée, mais ce qu’on retiendra c’est qu’ils ont chanté la Marseillaise. Ils auraient même proposé de nous rembourser les deux buts…
Là où ça ne  s’est guère amélioré, c’est à la télé. Certes, je ne suis que très peu impacté depuis que j’ai choisi de regarder la radio. Bon ce n’est pas forcément de tout repos. Il y a, sur France Info, une femme – et même plusieurs, tant il semble que désormais il faille une paire de seins pour obtenir une carte de presse- une certaine Fabienne Saint-Ex - s’exprimant toutefois nettement moins bien que l’auteur du Petit Prince - qui vient nous rappeler, dès potron-minet, que « nous sommes en édition spéciale ». Pas une fois, ni deux, mais dix. Peut-être vingt ! « Ce matin nous sommes en édition spéciale… »   Un peu comme s’il y avait une sorte de privilège à être dispensé du bulletin météo ou des cours de la bourse ; une prouesse à n’évoquer, pendant des heures entières, que ces tueries dont on saura tout, grâce à ces témoignages exclusifs de gens qui ont failli mourir ou qui ont perdu un proche. « Et voici maintenant le récit d’un rescapé du carnage… » ou « Monsieur Untel, très inquiet,  dont le fils n’est pas encore revenu… », ou de « Madame Machin, dévastée, dont la soeur ne reviendra pas… » puis « l’agent de la Bac qui pénétra le premier au Bataclan », encore « le copain de classe d’un des Kamikazes » et « le traumatisme à vie du garçon de café qui a vu un tête venir se caler sous un tabouret de bar ». Un reality show à la française et à bon marché, puisque les auteurs tout autant que les figurants, sont entièrement bénévoles.
On retrouve les mêmes sur BFM et ITV. Plus l’ancien directeur des renseignements intérieurs, le général de brigade en retraite du GIGN, le pédopsychiatre de revue, l’urgentiste de garde, le sociologue patenté, le spécialiste du djihad, l’historien des religions, l‘intermittent du spectacle, le maire du 11e arrondissement.  Et la ronde folle, les chaises musicales de tous les portes paroles des partis en mission très spéciale -elle aussi-.
Tout ce beau monde, qui décline rarement l’invitation à faire valoir sa science, repart néanmoins frustrés car sur les chaînes en continu, l’image s’obstine en un plan fixe, où l’on aperçoit quelques policiers serrant leur arme et les dents, le regard fixe, puis gênés, puis dérangés, puis carrément irrité par l’oeil obstiné de cette caméra vide de sens. Cela fait de la bobine pas chère. Creuse, vide même, mais pas chère. 
Il paraît que les chaînes achètent, pour meubler un peu, des « dead tape » un peu gore à des particuliers pour passer en boucle, ce qui s’explique puisqu’aussi bien ils n’ont rien d’autre à proposer qu’un CRS qui se gratte le nez et un gyrophare qui passe de temps à autre.
Et pourquoi se gêneraient-ils les maquereaux du tout info, puisque vous êtes plantés depuis des heures à gober le même plan, tandis que la journaliste déverse sa logorrhée, son flot ininterrompu  d’infos non vérifiées, de supputations plus ou moins nauséabondes ? Vous vous retrouvez là, scotchés comme un ivrogne à son verre de whisky, un puceau au porche de ses fantasmes, un abruti au volant d’une Porsche, un sportif à ses anabolisants, un acteur à son rail de coke, un toxico à son héro, un jeune à son joint, un vieux à Julien Lepers, un con à Cyril Anouna, un tueur à sa kalach… 
Au cinquième jour, les gonzesses épuisées des chaînes en continu ont rajouté une couche de fond de teint, mais sur la forme, elles restent impeccables : « Ne bougez pas, l’info revient tout de suite, puisque nous sommes en … édition spéciale. »
Côté pub ça cartonne aussi. Pas tant que lors de la coupe du monde de rugby. Mais enfin, si les assaillants voulaient bien faire une pause, le temps d’un petit écran de publicité… La nouvelle polo de Wolksvagen fait un tabac avec son pot anti-pollution, d’ailleurs l’un des assassins de Charonne ne s’y est pas trompé, qui avait choisi ce modèle économique…
Au bout de huit jours, il y a certes un peu de lassitude, mais ce qui prédomine sans doute  c’est la peur du vide. Car ensuite, la Cop21 et la campagne des régionales risquent de sonner creux. Mais on plantera quand même les caméras un peu partout, dès fois qu’il resterait encore deux ou trois djihadistes pour assurer la continuité.
Quoi qu'il arrive 2015 demeurera un grand cru. Car aussi bien le 7 janvier que le 13 novembre et leur alentours, la télé non-stop a enfin trouvé une bonne raison de vivre. C’est quand même pas compliqué : il suffit que les gens meurent. Et grâce à Dieu c’est autrement plus rapide qu’avec un simple morceau de viande. Surtout lorsque la vache n’est même pas folle…

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