Les vaches ou Beyoncé ?
CETTE semaine encore, ma jeune belle-soeur demandait à la sienne -de
soeur, la plus vieille- qui se trouve être la mienne -de femme-
(mais c'est dans les vieux pots...), si elle ne redoutait pas d'aller
se perdre au fin fond de l'Aubrac (!) ?
Je
crains que ce ne soit pas la dernière -fois qu'on lui pose la
question- ! Et en plus, elle a dit ça avec des accents profonds,
déchirants même, de sincérité : « tu es sûre que c'est
vraiment ce que tu veux ? » l'interrogera-t-elle sur ce ton
éternel, indémodable des soaps américains des années
quatre-vingt dix, remastorisés à la sauce marseillaise, dans
l'émission phare de FR3, Plus belle la vie, ce produit
sidérant de l'intelligence créative.
J'aime
beaucoup ma belle-soeur, depuis toujours et ce, malgré la
fascination qu'exerce sur elle cet espèce de mélodiste à deux
balles qui à fait des restos du coeur, une table étoilée pour le
restant de ses jours. Elle lui demanda cela avec la même gravité
que si elle avait décidé de rentrer dans les ordres, ou d'entamer
une carrière à la police municipale de Saint-Tropez, sous
l'autorité de l'adjudant chef Cruchot.
Bien
qu'ayant passé la quarantaine cette célibataire endurcie mais
érudite -elle renforça sa culture générale et ses lettres
classiques dans les catalogues des 3 Suisses- s'étonne que l'on
puisse vivre à moins de vingt mètres d'un magasin de prêt à
porter et d'un salon de coiffure... Dans mon élan j'ai failli, me
mêlant d'une conversation qui ne m'était pas destinée, lui
rappeler que désormais avec internet on pouvait vivre au bout du
monde comme sur la place Wilson à Toulouse et que l'on pouvait même
trouver en ligne, les fameux 3 Suisses.
Mais
ce que ma prévenante belle-soeur tenait à mettre dans la balance
d'une telle mise à l'index, c'est l'absence de rapports humains.
C'est vrai que là-haut, même les hommes sont des bêtes. Et que
rien de dépasse dans l'absolu et le sublime, une conversation de
fond avec une vendeuse de produits cosmétiques et une bonne soirée
acide et fumeuse dans une boite de nuit du département du Tarn dont
on sait à quel point il est bien plus évolué que ces dégénérés
de Lozériens...
Si
cette conversation m'avait un tant soi peu concerné, j'aurais ajouté
qu'on ne devait pas forcément moins bien s'amuser à La Rosée du
matin qu'au Bakardy, à LesKale ou au Bimbo jet ! S'amuser étant de
ces vocables génériques et sans fond qui peuvent tout aussi bien
signifier boire, danser, fumer, se droguer, baiser et... se faire chier sans
même s'en rendre compte !
Non,
je l'aime beaucoup la soeur cadette de mon « vieux clou »
et je ne peux décemment lui reprocher d'avoir tout tenté pour la
secourir avant qu'elle ne soit définitivement exclue, mise au ban de
la société évoluée et tellement attrayante, je devrais dire...
brillantissime.
Je
disais qu'elle n'était sans doute pas la seule à décréter qu'un
départ à Nasbinals, au fin fond de la Lozère, constituait un
douloureux exil sans retour, ni lendemain. Un enterrement vivant. Une
lapidation morale. Une fin brutale quoi que pouvant s'éterniser,
d'ennui en sourdes souffrances.
Je
ne peux m'en étonner et j'en attends encore, lorsque je sais combien
une écrasante majorité de notre bon peuple est incapable de
contempler un ciel d'orage, un vol d'oiseaux de passage, l'éclosion
d'une grappe de fleurs. D'ouvrir un livre... Et qui préfère
ralentir sur la voie opposée pour admirer de prés un bel accident,
regarder un match de foot ou une émission de dégénérés qui
cuisinent, chantent ou courent, mais qui feraient sans doute aussi
bien s'ils interchangeaient leurs spécialités.
Je
ne suis pas surpris que cette solitude effare lorsqu'ils sont en
recherche permanente de voisins à qui coller, de queues de bagnoles
vers les supermarchés, de queues de caddy au supermarché, de
queues de supporters à la porte des stades, des queues, des queues,
rien que des queues. Vous savez où ils peuvent se les mettre...
Pas
plus que je ne trouve étrange que le silence à ce point les
effraie. Eux qui écoutent RMC à tue-tête, the voice en liquette et
racontent leur vie trépidante souvent en boucle et puis évidemment
celle d'untel, sans oublier les aventures d'icelui et derechef...
Alors
pardi, je ne sais pas si elle m'accompagnera volontiers mon épouse
qui découvrit le plateau d'Aubrac, apparemment sans trop s'en
lasser, en 1977 ! Mais ce qui est avéré, irréversible,
inaltérable, c'est que moi... j'y monte. Ne serait-ce que pour ne
plus subir les cours de philo de la coiffeuse et les agressions de
Beyoncé par la fenêtre des voisins et du Pilou-pilou, les soirs de
grand mistral.
A
Nasbinals, je n'ai jamais rien entendu de plus beau que le chant du
silence, les aphorismes de la brise et les sobres déclarations de
vaches inspirées. Et si jamais quelqu'un me manque, je prendrai la
voiture, l'avion, le train. Ou je lui écrirai... Les snoc ne sont
pas encore montés, mais l'ADSL... si !
Jaco
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