Edition
spéciale…
Cette
semaine j’ai pu faire ce que je voulais. Y compris manger de la viande sans que
l’on vienne m’annoncer que j’allais mourir. Je suis même parti au travail sans
mettre ma ceinture (de sécurité). Pas un donneur de leçon sur les ondes, pas un
flic pour me piquer trois points. Cet état d’urgence, là, pour les libertés
individuelles, ça part plutôt sur de bonnes bases. Côté foot aussi, ça été
tranquille. Les Anglais nous ont filé une raclée, mais ce qu’on retiendra c’est
qu’ils ont chanté la Marseillaise. Ils auraient même proposé de nous rembourser
les deux buts…
Là
où ça ne s’est guère amélioré, c’est à
la télé. Certes, je ne suis que très peu impacté depuis que j’ai choisi de regarder la
radio. Bon ce n’est pas forcément de tout repos. Il y a, sur France Info, une
femme – et même plusieurs, tant il semble que désormais il faille une paire de
seins pour obtenir une carte de presse- une certaine Fabienne Saint-Ex -
s’exprimant toutefois nettement moins bien que l’auteur du Petit Prince - qui
vient nous rappeler, dès potron-minet, que « nous
sommes en édition spéciale ». Pas une fois, ni deux, mais dix.
Peut-être vingt ! « Ce matin
nous sommes en édition spéciale… »
Un peu comme s’il y avait une sorte de privilège à être dispensé du
bulletin météo ou des cours de la bourse ; une prouesse à n’évoquer,
pendant des heures entières, que ces tueries dont on saura tout, grâce à ces
témoignages exclusifs de gens qui ont failli mourir ou qui ont perdu un proche.
« Et voici maintenant le récit d’un
rescapé du carnage… » ou « Monsieur
Untel, très inquiet, dont le fils n’est
pas encore revenu… », ou de « Madame
Machin, dévastée, dont la soeur ne reviendra pas… » puis « l’agent de la Bac qui pénétra le premier au
Bataclan », encore « le
copain de classe d’un des Kamikazes » et « le traumatisme à vie du garçon de café qui a vu un tête venir se caler
sous un tabouret de bar ». Un reality show à la française et à bon
marché, puisque les auteurs tout autant que les figurants, sont entièrement
bénévoles.
On
retrouve les mêmes sur BFM et ITV. Plus l’ancien directeur des renseignements
intérieurs, le général de brigade en retraite du GIGN, le pédopsychiatre de
revue, l’urgentiste de garde, le sociologue patenté, le spécialiste du djihad,
l’historien des religions, l‘intermittent du spectacle, le maire du 11e
arrondissement. Et la ronde folle, les
chaises musicales de tous les portes paroles des partis en mission très spéciale -elle aussi-.
Tout
ce beau monde, qui décline rarement l’invitation à faire valoir sa science,
repart néanmoins frustrés car sur les chaînes en continu, l’image s’obstine en
un plan fixe, où l’on aperçoit quelques policiers serrant leur arme et les
dents, le regard fixe, puis gênés, puis dérangés, puis carrément irrité par
l’oeil obstiné de cette caméra vide de sens. Cela fait de la bobine pas chère.
Creuse, vide même, mais pas chère.
Il
paraît que les chaînes achètent, pour meubler un peu, des « dead tape »
un peu gore à des particuliers pour passer en boucle, ce qui s’explique puisqu’aussi bien
ils n’ont rien d’autre à proposer qu’un CRS qui se gratte le nez et un
gyrophare qui passe de temps à autre.
Et
pourquoi se gêneraient-ils les maquereaux du tout info, puisque vous êtes
plantés depuis des heures à gober le même plan, tandis que la journaliste
déverse sa logorrhée, son flot ininterrompu
d’infos non vérifiées, de supputations plus ou moins nauséabondes ? Vous
vous retrouvez là, scotchés comme un ivrogne à son verre de whisky, un puceau au
porche de ses fantasmes, un abruti au volant d’une Porsche, un sportif à ses anabolisants,
un acteur à son rail de coke, un toxico à son héro, un jeune à son joint, un
vieux à Julien Lepers, un con à Cyril Anouna, un tueur à sa kalach…

Côté
pub ça cartonne aussi. Pas tant que lors de la coupe du monde de rugby. Mais
enfin, si les assaillants voulaient bien faire une pause, le temps d’un petit
écran de publicité… La nouvelle polo de Wolksvagen fait un tabac avec son pot
anti-pollution, d’ailleurs l’un des assassins de Charonne ne s’y est pas
trompé, qui avait choisi ce modèle économique…
Au
bout de huit jours, il y a certes un peu de lassitude, mais ce qui prédomine
sans doute c’est la peur du vide. Car
ensuite, la Cop21 et la campagne des régionales risquent de sonner creux. Mais
on plantera quand même les caméras un peu partout, dès fois qu’il resterait
encore deux ou trois djihadistes pour assurer la continuité.
Quoi qu'il arrive 2015 demeurera un grand cru. Car aussi bien le 7 janvier que le 13 novembre et leur alentours, la télé non-stop a enfin trouvé une bonne
raison de vivre. C’est quand même pas compliqué : il suffit que les gens
meurent. Et grâce à Dieu c’est autrement plus rapide qu’avec un simple morceau
de viande. Surtout lorsque la vache n’est même pas folle…
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