COMME toujours,
j’allais écrire comme tout le monde –avant d’hélas me raviser- je voyais Noël
arriver avec la même suavité. Les enfants et les petits-enfants -enfin la
plupart !- à la maison, les cadeaux, les sourires, les rituels apaisants,
régénérants… Tout ce qui explique que l’on s’attache fermement à la vie.
Puis le chemin,
toujours recommencé, vers mon Tarn natal, Graulhet où se perdent mes
racines jusqu’à la nuit des temps et mes
chers parents qui m’attendent, sans doute comme jamais. Cette présence durant
les fêtes je la leur ai toujours accordée, même lorsque ce n’était pas facile.
Parce que je la leur rendais… et que Marie y consentait.
Cette année je devais
filer - un peu coupable de laisser maman et papa changer d’an sans moi – vers
l’Aubrac. Ma passion, ma certitude, ma religion. Sans doute ma déraison.
L’Aubrac, mais aussi Nasbinals et
Bastide. Je voulais attaquer fort, au premier matin de 2016, un joli
blog tout à leur gloire.
Pas entièrement
bénévole certes –ce temps viendra – mais avec une force, un dévouement, une
conviction dont je me sens encore capable, compte –tenu de mon… jeune
âge ! Certes, ce serait à partager
quelques temps avec mes copains de ce rugby amateur qui m’a tant apporté, mais
ce serait mon affaire.
D’ailleurs c’est avec
eux, ceux de Côte d’Azur, que j’avais ouvert les célébrations de Noël au
cabanon de Titin (et de Jean-Michel), ce paradis pradétan où l’on semble déjà
naviguer, tant la présence de la
Méditerrannée y est forte. Notre petit
Jésus du Comité –Henri- avait commandé à Jaco
un repas de régime Aubrac : boudin, saucisse, tripous, côtes de
boeuf de Conquet, aligot et Laguiole… L’un de ces grands moments festifs et
fraternels comme on les aime encore dans le rugby, enfin… au Pradet !
Curieusement,
peut-être par l’effet du décalage chinois et malgré la suavité, je n’arrivais pas à m’y projeter comme
d’ordinaire, alors qu’il était pourtant tout proche, le divin enfant. Et le lundi précédent, tout à coup, le mollet
pris dans un étau, une douleur sidérante. Deux coups de fil à mes docteurs et
les urgences de Saint-Anne. Je l’aime beaucoup, Anne –et elle le sait- mais ce
choix relevait plus, en l’occurrence, d’un pari sur une prise en charge
d’excellence. Ceux qui accueillent les grands blessés des plus beaux théâtres
de guerre, ne défailleraient pas devant les spasmes d’une seule guibole.
Mais le
« Jacanarco » dans un hôpital militaire, portant un nom de… nonne,
c’est quand même pas banal ! La douleur était largement passée dans la
Renault (marque recommandée également pour les biens-portants), que Marie
conduisait, entre Cuers et le pied du Faron, au klaxon. Ce qui me faisait alterner rictus de douleur
et sourires crispés à l’idée que je pourrais, en cas de survie, vous le
raconter. Certes nous n’étions pas encore dans les fameuses scènes de poursuite de Casino Royale, mais mon chauffeur faisait du « Bond » en
collant au cul des vieux, croulants dans leurs wolksvagen.
Ils me prirent pour un
citron, les urgentistes, lorsque je suis entré dans le bureau de l’infirmière
en décrivant, benoîtement, mes atroces douleurs au mollet, à peine apaisées.
Car ce n’est que deux heures et demie plus tard, après avoir pris tout ce qui
arrivait d’anciens, pantelants, suffocants, gémissants, grimaçants et souvent
…simulant (puis qui repartaient peu
après satisfaits qu’on se soit préoccupé en priorité de leur si auguste personne), qu’ils s’intéressèrent enfin à moi.
J’étais à bout de nerf,
lorsque j’entendis une doctoresse adresser à une mémé qui venait encore de me
passer devant et faisait un pas à la minute : « Prenez votre temps, on n’est pas pressé ! » A une
époque, je me serais immédiatement levé et serais rentré chez moi de rage et de
dépit. Mais à la troisième alerte sur ma béquille gauche, je jugeais plus
raisonnable de ronger mon frein. Enfin bon, ma chère Anne, toute Sainte que tu sois, il serait temps que tu admettes que l’on peut être « jeune », ne
pas gémir et pourtant avoir autant besoin de soins urgents qu’un vieillard,
fut-il retraité de l’armée !
En même temps, je vous
raconte tout ça, mais quel intérêt ? Je suis encore vivant… Et quand bien même,
qu’elle importance ? Si ce n’est évidemment pour mon papa, ma maman et, accessoirement,
ma femme ?
Depuis le 7 janvier,
je vous l’ai assez dit, je ne rate jamais un Charly. Je l’étais bien avant que
cinq millions de nos compatriotes aient eu l’honneur de le clamer. J’aimerais
tant qu’ils s’en réclament encore… Depuis lors, aussi, je m’installe toutes les semaines dans le Jacuzzi des Ondes , la chronique de
Philippe Lançon. Critique littéraire de « Libé », spécialiste des
médias, il veillait au grain des manipulations de la terrible lucarne libérale
consumériste et de la connerie mondialisée.
Philippe Lançon
assistait à la conférence de rentrée de l’hebdo, le 7 janvier dernier, lorsque : tac-tac-tac... Il en a pris
partout. Dans la bouche, les bras, le thorax. Il aurait dû, en toute logique,
embarquer pour nulle part, avec ses illustres congénères du crayon acéré,
éclairé, flamboyant. Mais non aucune
balle n’est venue se loger là où elle ne fait même plus peur, même plus mal. Il
ne serait qu’une gueule cassée de la liberté d’expression laïcisée. De
résistance sous toutes ses coutures. De souffrance sous toutes les sutures.
Et là, mon Charly,
encore chapeau bas ! Les profs, Choron et Cavanna, seraient fiers de vous.
Parce que laisser un mec pendant des mois à l’hosto pour raconter ce qu’est
vraiment l’enfer (pendant et après), laissez-moi employer les grands
maux : c’est du génie ! Un morceau Kouachi du journalisme.
Philippe Lançon a été
trituré, greffé, martyrisé. Monté au bloc, remonté, démonté. Sans jamais
vraiment sembler se plaindre. Lui, le
témoin du pire, ne renverrait que le meilleur, sans jamais renchérir sur
l’horreur.
La première
perspective d’horizon lorsqu’il redécouvre l’Océan dont la marée vient le
caresser du regard. Je m’imagine retrouvant l’Aubrac après avoir cru à jamais le perdre…
Son premier verre de
vin, cinq mois après la gueule de bois. J’en souris honteusement, moi qui après
une semaine d’hosto et à l’eau, ne connaît plus que trois régions en
France : le Gaillacois, le Marcillac, le Provence… Philippe occulte ses
souffrances même si depuis bientôt un an, au détour d’un mot, d’une virgule,
d’un accent, je pressens un aïe, un ouille… Durant tout ce temps, il a
surtout cotôyé un milieu angélique, infernal à la fois. Le même que celui dispensé
dans les pages voisines par un autre chroniqueur magnifique de délicatesse, de beauté, de
bonté. J’aurais aimé être accueilli, lundi dernier par Patrick Pelloux, même si
j’ai enfin trouvé dans le regard de mon chirurgien, le docteur Béranger, tout ce qui m’avait
manqué dans celui de ses prédécesseurs.
Philippe aussi ne
parle que d’Humanité. Celle manifestée, sans afféterie par ces femmes et ces
hommes qui semblent programmés non seulement pour vous border, vous laver, vous
lever, vous soigner, vous sauver, mais aussi vous aimer. Perception rare.
Unique. Troublante.
Bien sûr, on y est
plus sensible lorsque c’est autour de vous que des gens qui vous valent cent
fois, semblent ne plus avoir que vous d’ultime
préoccupation. Mais tout de même quel plus beau métier ? Quel plus dur
métier que celui de brancardier, de
professeur, d’aide-soignant, d’interne, d’infirmier ? Lorsqu’on ne sait
jamais ce qui va arriver ni… dans quel état !
Du grand mandarin de médecine au balayeur de l’hôpital public ou des
armées, gloire à ceux qui accompagnent si généreusement les chroniqueurs de
Charly et les petits blogueurs du lundi…
Jaco